Propositions pour une meilleure mobilité professionnelle entreprise-école

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Propositions pour une meilleure mobilité professionnelle entreprise-école

La pénurie d’enseignants a privé les élèves de 2 heures de cours par semaine (allant jusqu’à une perte de 6 semaines de cours par an) en 2019[1]. 1 élève sur 5 serait confronté à un problème d’absence d’enseignants pour cause structurelle[2]. On évalue en 2018-2019 le déficit structurel à plus de 1200 ETP enseignants[3]. Cette problématique structurelle, qui touche de nombreux pays européens, pose la question de l’adaptation ou non des carrières de l’enseignement aux réalités des parcours professionnels d’aujourd’hui, mais également celle de l’attractivité de l’enseignement.

Des mesures internes au système éducatif ont été mises en place pour agir sur l’attractivité du métier (par ex., « pourquoipasprof.be ») et réduire le taux important de décrochage des jeunes enseignants (1 sur 5 quitte le métier dans la première année, plus d’1 sur 3 dans les 5 ans).

La Fondation pour l’Enseignement propose de réfléchir à des solutions ouvertes sur le monde du travail dans son ensemble, en partant de plusieurs constats:

Premier constat: le cloisonnement des carrières ne correspond plus ni aux attentes des entreprises, ni à celles des nouvelles générations d’enseignants[4] et n’offre pas aux élèves de vue sur les dynamiques des parcours professionnels d’aujourd’hui.

Second constat: des travailleurs de l’entreprise ont un intérêt pour une reconversion professionnelle positive dans l’enseignement, seraient intéressés par une occupation mixte, à temps partiel dans l’entreprise et dans l’enseignement, à titre temporaire ou à long terme. Des travailleurs sont aussi dans des parcours de transition menant au départ de l’entreprise, notamment lorsque la mobilité en interne s’avère impossible.

Troisième constat: l’enseignement exprime au travers du Pacte pour un Enseignement d’Excellence une double volonté : d’une part une évolution des métiers et des pratiques professionnelle dans l’enseignement et, d’autre part, une ouverture accrue vers le monde du travail, notamment pour renforcer les liens entre l’enseignement et l’emploi[5]. Ces deux éléments justifient d’autant plus la pertinence des carrières mixtes.

Afin de répondre à ces réalités, plusieurs actions peuvent être menées à court et moyen termes:

1. Renforcer l’attractivité du métier et de la carrière de d’enseignant. Pour cela, il est nécessaire de:

  1. Rendre ses lettres de noblesses au métier d’enseignant en restaurant une image correcte de celui-ci, mieux valoriser les compétences que l’enseignant développe et mobilise dans son métier, auprès du grand public et de l’entreprise : enseigner est un métier exigeant, alliant des compétences disciplinaires, pédagogiques, interpersonnelles, autonomie, assertivité,… qui sont d’ailleurs aussi autant de compétences prisées pour des reconversions professionnelles de l’enseignement vers l’entreprise.
  2. Reconnaître l’ancienneté acquise en entreprise, en alignant celle-ci pour toutes les disciplines, niveaux et types d’enseignement à 15 ans, dès lors que les titres pédagogiques sont acquis ou en cours d’acquisition. Actuellement, seules 10 années d’expérience utile sont reconnues, pour les enseignants de cours techniques et de pratique professionnelle uniquement, et dans le cadre d’une procédure administrative assez lourde.
  3. Stabiliser les travailleurs et les équipes, d’une part en assouplissant le Décret « Titres et Fonctions »[6]. Dans des situations de fortes pénuries, en concertation avec les acteurs, diminuer significativement voire supprimer la hiérachie entre titres « requis » et «suffisants » et, d’autre part, donner aux pouvoirs organisateurs une marge de manœuvre plus importante pour reconduire (et nommer) un enseignant (dont le titre suffisant ou en pénurie a été accepté lors de son entrée en fonction) suivant une expérience probante sur le terrain.

2. Encourager et accompagner la mobilité des travailleurs depuis l’entreprise, dans la logique d’un parcours vers une réorientation positive, en mettant en évidence[7] les possibilités de reconversions et de formations. Permettre les carrières mixtes (contrat de travail simultanés dans 2 régimes statutaires, préservant les acquis par exemple en matière de pensions). La réglementation en matière de droit du travail (e.a. sur la mise à disposition des travailleurs[8]) doit pouvoir être adaptée, en mettant mieux à profit les moments de transition (comme un préavis) pour préparer une nouvelle carrière, tout en maintenant l’emploi du travailleur pendant cette période[9], ou encore en étendant le champs des mises à disposition des travailleurs (entreprises ne faisant pas partie de la même entité juridique ; temporairement ou à durée indéterminée). De futurs plans de relance suite à la crise sanitaire pourraient intégrer une plateforme écoles-entreprises pour encadrer et accompagner des reconversions positives.

3. Créer un cadre stimulant dans l’enseignement, qui valorise les compétences (par ex. les « STEM » : comme professeur de sciences ou de mathématiques) et les expériences acquises dans l’entreprise au bénéfice du projet de l’établissement scolaire, en proposant notamment des fonctions mixtes (par ex. coordination, soutien à l’orientation, etc.) dans l’enseignement, et en systématisant l’accompagnement et le mentorat des nouveaux enseignants.

4. Initier une concertation avec les acteurs de l’enseignement supérieur et de la promotion sociale, en priorité dans les fonctions et disciplines de l’enseignement identifiées de manière récurrente en pénurie, pour:

  1. améliorer les parcours de formations pédagogiques existants(certains permettant déjà une mobilité de l’entreprise vers l’enseignement, comme l’agrégation, les CAP et la promotion sociale) et en assouplir modalités et accès (e.a. suivre plus facilement une formation en continuant à travailler, organiser davantage de sessions pour les jurys) ;
  2. favoriser l’émergence de parcours innovants, notamment en alternance[10] ou combinant l’exercice du métier en entreprise et l’enseignement[11], afin de faciliter l’entrée dans la profession pour des travailleurs issus de l’entreprise, en les préparant aux « codes » du métier et en se focalisant sur les compétences interpersonnelles[12].

Pour accéder au texte en PDF : cliquez ici

Consulter aussi l'article paru dans LE SOIR ce 12.11.2020

Pour de plus amples informations: olivier.remels@fondation-enseignement.be - 0477 20 26 65


[1] Sondage FAPEO auprès de 500 familles, février 2020.

[2] Rapport 2017-2018 du groupe de travail lié aux missions de contrôle du niveau des études (Service Général d’Inspection–Secondaire) sur la base d’un échantillon de 336 établissements : 33482 élèves dans 1692 groupes-classes.

[3] Nombre de périodes pour lesquelles une offre Primoweb est restée sans réponse en FW-B (heures vacantes et absences cumulées): 170 dans le Fondamental ; 682 dans le Secondaire Inférieur (Math, Sciences, Français), 382 Sec Sup (Néerlandais, Français, Anglais). Données 2018-2019 de la chambre de la Pénurie (AGE, FW-B) ; Décret du 14 mars 2019 portant sur l'organisation du travail des membres du personnel.

[4] Le rythme moyen des jeunes générations, tout secteur confondu, est à présent celui d’une mobilité professionnelle tous les 5 à 6 ans.

[5] Plus de 13% (NEETS) des jeunes en Wallonie et 20% à Bruxelles sont sans emploi et sans parcours, ni dans l’enseignement ni dans une formation.

[6] Décret du 11 avril 2014 réglementant les titres et fonctions dans l'enseignement organisé et subventionné par la Communauté française.

[7] Directions des ressources humaines, bureaux d’outplacement et secrétariats sociaux sont des points d’appui.

[8] La Loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateurs («Loi détachement»).

[9] Autoriser des contrats de travail simultanés dans les deux régimes statutaires, au minimum à titre transitoire, à l’instar d’expériences menées dans d’autres secteurs/régions (notamment « Dual Lessen Geven» en Flandre).

[10] Dans le programme « Leraar in Opleiding » en Flandre (enseignement Fondamental), 75 % des crédits sont acquis en haute école/université et 25% via des stages dans une classe. L’enseignant débutant est en contrat avec une école. Il peut acquérir ses titres pédagogiques “en alternance” (il est rémunéré pendant qu’il suit sa formation en horaires décalés). L’expérience construite dans la classe dont l’enseignant à la charge (ou lors de remplacement) vaut comme stages, ce qui ne nécessite pas de compléter les stages dans d’autres écoles. Les parcours (l’ordre des apprentissages) des universités/hautes écoles sont adaptés selon les rythmes scolaires. Les formations d’instituteurs, master à finalité didactique, agrégation dans l’enseignement Secondaire, promotion sociale/CAP pourraient faire l’objet de parcours innovants en alternance, à l’instar d’autres études supérieures.

[11]Le Gouvernement flamand a initié en partenariat avec Essenscia un projet-pilote (« Duale Lesgevers ») de 2 ans visant à permettre à des personnes employées dans les entreprises (volontaires) de travailler pour une période limitée comme enseignant (à temps partiel) dans l’enseignement secondaire. Une courte formation pédagogique intensive est organisée par les hautes écoles/universités pour les candidats qui n’ont pas de titres pédagogiques.

[12] A l’instar des formations accélérées dispensées par l’asbl Teach for Belgium, palliant aux pénuries aigües d’enseignants dans les écoles à encadrement différencié du Secondaire à Bruxelles. Les candidats se connectent ainsi apidement aux réalités du métier, avant d’acquérir (pour 8 sur 10 d’entre-eux) un titre pédagogique.